Les chasseurs de déchets de Dakar
Une des plus grosses décharges à ciel ouvert du monde se situe dans la capitale sénégalaise, Dakar. Cette bombe à retardement écologique est source d’emploi pour près de 2500 personnes et le centre névralgique d’une économie informelle grandissante.
La décharge de Mbeubeuss se trouve dans un quartier périphérique de la capitale, au milieu d’une zone d’habitation, et s’étend sur 2km. Plus de 2000 tonnes de déchets ménagers et industriels y sont déversés quotidiennement et représentent le moyen de subsistance de plusieurs centaines de récupérateurs.
Il est midi et le soleil scintille sur la capitale du Sénégal, Dakar. Pourtant, l’ambiance est sombre, on ne voit pas plus loin qu’à quelques mètres. Des épais nuages de fumée défilent. Ici et là on distingue des personnes qui portent de gros baluchons sur le dos ou sur la tête. Ils pataugent dans les déchets, pris jusqu’aux chevilles. D’autres se précipitent à la suite d’un camion qui se décharge déjà de sa cargaison. Au beau milieu de cette fumée âcre, ils cherchent du plastique, des métaux, et autres reliquats de matière qu’ils pourront valoriser et revendre. La scène a quelque chose d’apocalyptique
La plateforme, comme on la surnomme, est le centre de la décharge de Mbeubeuss. Selon l’« Environmental Justice Atlas » (Atlas de la Justice environnementale), publié par des organisations environnementales et des centres de recherches, elle compterait parmi les plus grandes décharges à ciel ouvert du monde. 300 camions déversent ici quelques 2000 tonnes de déchets ménagers et industriels chaque jour
Des tonnes de déchets – en pleine zone d’habitation
La décharge se situe dans un quartier périphérique de Dakar, en plein milieu des quartiers d’habitation et fait quasiment 2km2 de superficie. C’est ici que se révèle le plus clairement le problème des déchets du Sénégal, mais aussi de beaucoup d’autres pays d’Afrique. Tout ce qui ne finit pas en dépôt sauvage ou brûlé illégalement termine sa course dans une décharge. A cet endroit, le déchet repose indéfiniment. La seule forme de recyclage existante est entre les mains des récupérateurs de déchets privés
La plateforme constitue en fait le plateau d’une gigantesque montagne de déchets qui s’est créée au fil des décennies et qui continue perpétuellement de grandir à mesure que les bouteilles en plastique sont jetées dans les poubelles. D’un point de vue environnemental, Mbeubeuss n’est autre qu’une bombe à retardement désamorcée. Outre le poids du chargement des camions qui y pénètrent, rien ou presque n’est contrôlé dans la décharge. Et pourtant, elle est placée sous la responsabilité de l’Etat. Le terrain sur lequel les déchets sont déchargés depuis 1968 n’est pas sécurisé. Une étude de l’Institut Africain de Gestion Urbaine en a démontré les risques il y a quelques années. Les déchets, parmi lesquels des métaux lourds, polluent les sols, la mer à proximité et l’air. Les habitants à proximité de la décharge et leurs animaux sont aussi touchés et menacés que les récupérateurs et vendeurs qui travaillent sur la décharge. La nappe phréatique est contaminée, ce qui constitue une catastrophe sociale, car les habitants sont dépendants des puits alentours
Le gouvernement souhaite fermer Mbeubeuss depuis des années, mais rien n’a été fait jusqu’à aujourd’hui. La fermeture a échoué notamment en raison des protestations des récupérateurs, dont les moyens de subsistance en dépendent entièrement. Ils se sont organisés au sein de l’association Bokk Diom. Difficile d’établir exactement combien de personnes y travaillent, mais les estimations parlent de 2500, parmi lesquelles des femmes et des enfants. Environ 400 personnes vivent directement sur la décharge, dans des huttes faites de tissu et de bois.
Ces récupérateurs évoluent dans des conditions de travail déplorables, mais ainsi, eux et leurs familles réussissent à s’en sortir. Et ce n’est pas une évidence dans un pays où, selon la Banque Mondiale, 47% de la population vit sous le seuil de pauvreté. Adama Soumaré connaît les travailleurs de Mbeubeuss depuis des années : il a travaillé pour différentes organisations caritatives. Il ne croît pas à un changement rapide des choses.
Pour le moment, il s’agit surtout d’améliorer les conditions de travail et de circonscrire les dangers écologiques. Soumaré essaie d’intégrer les récupérateurs dans des projets où leur statut pourra être reconnu et renforcé.
Les enfants souffrent particulièrement de ces conditions de vie
Les femmes emmènent souvent leurs enfants avec elles au travail, car personne ne peut s’occuper d’eux. Ce sont eux les plus vulnérables aux dangers de la décharge. Par ailleurs, beaucoup de récupérateurs et d’habitants de Mbeubeuss se battent avec les problèmes de santé.
Les maladies respiratoires y sont largement plus courantes que dans d’autres régions selon Adama Soumaré, mais les récupérateurs sont persuadés d’être en bonne santé. « Nous sommes entourés de tant de germes que nous avons progressivement été immunisés » affirme le président de Bokk-Diom, El Hadji Malick Diallo. Malgré tout, il concède lui aussi que beaucoup de travailleurs se plaignent de toux ou sont victimes d’accidents.
Hourana Niasse travaille sur la décharge depuis 12 ans. Tous les matins, il arrive à Mbeubeuss, enfile ses habits de travail – un vieux maillot de football et un jean – et attend le poids lourd d’une usine de ciment. Dans son chargement, il cherche du plastique, du caoutchouc et du fer.
Comme un chercheur d’or, il fouille dans les montagnes de déchets, dans l’espoir du grand coup, de la trouvaille qui lui rapportera suffisamment d’argent pour pouvoir arrêter ; ou au moins monter son propre commerce. « La décharge a beaucoup de secrets, et on ne sait jamais quand on en découvrira un » dit-il. Sur un coup, tout peut changer. Niasse raconte l’histoire d’autres récupérateurs qui se sont fait beaucoup d’argent. Il nous dit également qu’il est heureux et que son travail lui plaît mieux que son précédent boulot de gardien de nuit. « Ici, nous sommes respectés, il y a de la solidarité et un esprit de communauté ».
Travailler dans la hiérarchie invisible
Niasse, grand, mince et le regard attentif, est également secrétaire général de Bokk Diom. L’homme de 49 ans est connu ; il s’arrête discuter en chaque lieu et transmet ses informations à l’association. Dans la hiérarchie invisible de Mbeubeuss, il a construit son chemin vers le haut. Lui aussi a commencé sur la plateforme, où il se jetait avec tous les autres sur les camions de déchets ménagers. Après quelques années, il lui fut offert de passer sur les camions privés, qui transportent les déchets directement des entreprises vers la décharge. Son camion, il le fouille avec un collègue ; aucun autre récupérateur n’est autorisé à faire de même. Son butin git sans surveillance à l’abri d’un arbre. Une surveillance n’est pas nécessaire, personne ne se risquerait à le toucher.
Le chaos organisé
Ces ballotins remplis d’objets de récupération – des chaises en plastique aux contenants en métaux – et proprement rangés, s’étalent un peu partout sur le terrain qui entoure la plateforme. Ici on ne perçoit rien de l’atmosphère menaçante de la plateforme, le site est même presque contemplatif.
Le chaos a sa propre organisation. Plus on s’enfonce dans l’univers de Mbeubeuss, plus la structure et la hiérarchie sont visibles. Dans l’ombre de la montagne de déchets s’est développée une petite ville indépendante et toute sa filière industrielle informelle. A côté des récupérateurs, on retrouve des commerçants, qui rachètent le plastique et les métaux pour les revendre directement aux entreprises. Certains de ces commerçants ont même des employés.
D’autres récupérateurs vendent leurs trouvailles directement. Parmi ceux-là le secrétaire général de Bokk Diom, Niasse. Un de ses clients lui rend visite tous les jeudis. Aujourd’hui, c’est une longue bande de caoutchouc qu’il est venu lui acheter et qu’il utilisera pour réparer des calèches ou comme protège poussière pour les roues de secours des voitures. Quelque part dans Dakar, un véhicule revêtira bientôt un morceau de caoutchouc qui il y a peu reposait encore dans le terril fumant des déchets de Mbeubeuss.
L’article, écrit par Katja Müller, a été publié dans le journal Luzerner Zeitung, traduit de l’allemand au français par Jules Jagot de l’association Zéro Déchet Sénégal; photos: Katja Müller
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